CONFIANTE EN L’AVENIR, ANNA SAM L’EST, LORSQU’ELLE SORT DIPLÔMÉE D’UN DEA DE LITTÉRATURE ET ENVISAGE DE TROUVER UN TRAVAIL À LA HAUTEUR DE SES ESPÉRANCES ET DE SON NIVEAU D’ÉTUDES. POURTANT, LES CHOSES SONT LOIN DE SE PASSER COMME ELLE L’ENTENDAIT. « JE M’APPELLE ANNA, J’AI 28 ANS, UN DIPLÔME UNIVERSITAIRE LITTÉRAIRE EN POCHE ET UNE EXPÉRIENCE DE LA VIE À LA FOIS PARTICULIÈRE ET BANALE. J’AI TRAVAILLÉ HUIT ANS EN GRANDE SURFACE, D’ABORD POUR FINANCER MES ÉTUDES ET OBTENIR MON INDÉPENDANCE FINANCIÈRE ET PUIS, FAUTE DE TROUVER UN EMPLOI DANS MA BRANCHE, J’Y SUIS RESTÉE POUR DEVENIR COMME ON DIT SI BIEN : HÔTESSE DE CAISSE. » AINSI COMMENCENT LES TRIBULATIONS D’UNE CAISSIÈRE, SON COURT RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE DEVENU UN BEST-SELLER TRÈS VITE APRÈS SA PARUTION, EN 2008. MANIANT LA PLUME AVEC HUMOUR ET EFFICACITÉ, ANNA SAM NOUS INVITE À RECONSIDÉRER LA MANIÈRE DONT NOUS VALORISONS LE TRAVAIL AUJOURD’HUI, AUTANT PAR LE REGARD QUE NOUS PORTONS SUR LES DIFFÉRENTS MÉTIERS, QUE PAR LA MANIÈRE DONT NOUS CHOISISSONS ET NOUS APPROPRIONS CE QUE NOUS FAISONS.
Trouver du sens au travail : une utopie ?
On définit traditionnellement le travail comme ce qui caractérise l’homme par rapport à l’animal : c’est ce par quoi nous modifions nos conditions d’existence, en les rendant meilleures, transformons la nature, en devenons les « maîtres et possesseurs », et créons une forme de sociabilité fondée sur la complémentarité. Depuis le XVIIè siècle, nous le pensons en outre comme un processus d’auto-accomplissement, par lequel nous devenons encore plus ce que nous sommes. Chacun espère trouver dans son métier l’accomplissement d’une vocation intérieure par lequel il se sache devenir ce qu’il est – c’est la valeur individuelle, identitaire d’un métier – et se rende utile au bien commun – c’est sa valeur collective. Pourtant, cette belle utopie semble bien plus renvoyer à nos rêves d’enfants qu’à la réalité économique et sociale du travail : ce que nous cherchons plus souvent, lorsque nous entrons sur le marché du travail, c’est la stabilité financière qui nous permettra ensuite d’accomplir nos rêves. Comment se fait-il qu’il y ait un tel écart entre l’évidence ontologique du travail pour l’existence de l’homme, et le rapport que chaque individu entretient avec son travail, mêlé de soumission, parfois de frustration et de sentiment d’inaccomplissement ?
Valeur du travail et travail des valeurs
Cette question est d’autant plus urgente que l’écart entre la nécessité du travail et le sens que nous lui donnons se creuse, dans notre société post-industrielle, où le travailleur a perdu la relation directe au fruit de son travail : ce qu’il produit devient une potentialité, un capital, et obtient une valeur indépendante de lui, purement économique. Cette double perte, de l’objet et de la valeur du travail, transforme radicalement notre relation au travail : nous sommes dépossédés de ce qui donnait au travail une valeur d’accomplissement pour l’homme par la maîtrise de la matière, et nous sommes dépossédés de la valeur du travail luimême, puisque c’est la sphère économique qui la lui donne, et non plus la sphère de la vie. L’idée selon laquelle il nous faut trouver de nouveaux leviers de sens dans le travail aujourd’hui n’est pas anodine, elle est tout à fait primordiale : en effet, nous avons, non pas à restaurer un rapport originel et utopique au travail, mais plutôt à tenter d’élaborer les conditions de possibilité d’un accomplissement individuel et collectif de l’homme, d’une réappropriation de son travail, et tout l’enjeu de nos sociétés modernes est là. Tenter de concilier la nécessité humaine de travailler, avec les conditions d’existence actuelles et, ainsi, envisager la possibilité d’un auto-accomplissement de soi. Tenter de redonner du sens, par le biais de leviers cohérents avec la manière dont nous voulons nous définir en tant qu’hommes, et dont nous définissons le travail.
Retrouver un « métier d’homme »
Où trouver ces leviers de sens ? Nous pouvons d’abord chercher dans le travail en lui-même, dans la manière dont nous l’exerçons, dans les liens de sociabilité qu’il crée, et dans la durabilité que nous voulons lui donner. Afin d’être en mesure, de pouvoir dire que nous exerçons un « métier d’homme », pour reprendre les mots de Romain Gary dans La Promesse de l’Aube, c’està- dire, un métier qui accomplisse les dimensions essentielles de notre condition humaine. Et cela ne va pas sans envisager également comment les autres sphères de la vie peuvent entrer en ligne recherche du sens au travail. Nous touchons ici aux sphères du loisir et de la culture en particulier, qui peuvent constituer des leviers humanisants, au niveau individuel et collectif. Mener l’enquête sur le sens que nous voulons donner au travail par une prise de distance personnelle et collective sur une réalité sociale, économique, culturelle, qui a envahi toutes les dimensions de notre vie, afin de parvenir à une prise de conscience des limites de cette réalité, mais également de ses atouts. Ouvrir un champ à des dynamiques de renouvellement et de réappropriation de ses choix, voilà ce à quoi doit nous mener la campagne de En Quête de Sens au Travail.
Par Claire de Basquiat
Élève en 2e année de philosophie
à l’ENS Paris et M2 d’Histoire des Religions à L’EPHE